Dimanche 21 septembre, cultures

Me revoilà à fouiller dans votre (précieux) dictionnaire.
Car j’ai entendu ce matin, alors que je sirotais dans un de vos bars, un homme crier que fabriquer un spectacle ou produire de l’art, ce n’était certainement pas exercer un métier. On s’y amuserait trop.

Métier : genre d’occupation manuelle ou mécanique qui trouve son utilité dans la société.

Bon, pas de drame à l’horizon de cette définition, métier et souffrance, dans le dictionnaire, ne sont pas liés. Je crois deviner néanmoins que le débat (comme vous les aimez) se cache dans le terme utilité.
Ici, la fabrication de l’utile nécessite une souffrance fondamentalement liée à la qualité même du rendement. Plus l’homme souffre, mieux il travaille. Le sérieux et la tristesse semblent être les garanties solides d’un vrai travail, d’un travail utile. Et cette vérité, paradoxalement, s’observe chez certains comédiens de théâtre, et aussi chez certains danseurs et chanteurs rendus par la société coupables de s’amuser, coupables donc de ne pas travailler. Pour prouver l’utilité de leur métier, ils exposent à tous vents une souffrance exacerbée, devenue naturelle, issue au départ d’un réflexe de défense contre les soupçons du monde.

D’autre part, comme je l’ai constaté ici même, je crois que l’homme est fabriqué pour l’inutile, le vide, les vacances. Et l’art rappelle trop au travailleur courbé le vide même de son enfance, où le temps passait pour rien. Il y a un peu de jalousie dans la défiance de l’art par la société, et aussi un amour aveugle pour le visible. L’homme veut des preuves, or l’art n’actionne aucune mécanique visible à l’œil nu : vitesse, roulement, digestion, information, santé, défense, sécurité... L’art ne sert immédiatement à rien.

Chez vous, si l’homme ne voit pas, il ne croit pas. Et chez vous, si l'homme ne souffre pas, il ne travaille pas. Peut-être tout cela vient-il de votre Jésus qui saigne.

Excusez-moi, je ne comprend pas tout. Mais j’ai remarqué que l’art vous permettait tout de même de cultiver votre terreau intime d’émotions, d’opinions, d’humour... Il favorise une culture. Car enfin quelque chose pousse chez l’homme, non ?

Rose a beaucoup d’amis qui ne cultivent pas leur terrain de la même manière. La pousse varie, vraisemblablement, selon la qualité du milieu (humidité, sècheresse, ventilation...) et du terrain. Elle peut s’encroûter, se stériliser, transformer la bouche en passage de vieux germes. Elle peut donner brillants bourgeons et multiples variétés. Parfois aussi la culture ne prend pas. Et il y a ceux qui restent persuadés qu’elle a pris et qu’ils la maîtrisent, alors qu’en réalité rien ne pousse. Voilà quelques catégories que j’ai pu observer parmi les amis de Rose.

La culture porte parfois ses fruits. Et l’artiste arrose. Parmi d’autres arrosages.

Mais j’en reviens toujours au même point. Beaucoup d’hommes, ici, aiment sentir le travail derrière un spectacle ou une toile. La trace visible du labeur les réconforte. Ils ne sont pas les seuls à souffrir, à travailler.

1 commentaire:

RB a dit…

Cher Raymonde,

J'espère que vous me pardonnerez une petite note complémentaire qui paraîtra sans doute pédante à vos yeux candides (mais affutés) : si le mot métier n'est pas lié à la souffrance, celui de travail l'est. L'un de mes maîtres m'avait enseigné qu'il venait du latin tripalium, désignant un instrument de torture à trois branches, et qu'au moyen-âge il signifiait la fatigue, le tourment et la peine.

Et vous avez raison aussi sur les acteurs : il y a tant de culpabilité, ici, à seulement jouer, qu'il faut à tout prix y mettre de la souffrance, que ce soit la sienne ou celle des autres, pour ne pas provoquer le scandale. C'est pour cette raison, je crois, que dès qu'un acteur devient un petit peu riche et célèbre, il s'empresse de s'engager pour une cause humanitaire. Les gens de ce monde ne lui pardonneraient pas s'il gardait son salaire et son image pour lui tout seul. Ceux qui sont très riches et très beaux doivent obligatoirement prendre un hélicoptère et se faire escorter par l'armée pour aller poser une main pleine de compassion sur un petit enfant du Tiers-Monde. Mais j'ai assez dit.

Votre ami Gertrud.