mercredi 22 juillet, féminismes


Chers lecteurs (?), excusez mon absence, due, comme toujours, à une intense perplexité.

Il y a quelques jours, Germaude, une amie de Rose, exaspérée, me racontait qu’elle avait entendu une jeune femme corriger un "au revoir Madame" lancé à la hâte à son égard dans une boulangerie par un "MADEMOISELLE!" furibond et quasi violent, laissant ainsi la boulangère bégayante à son pain et à sa faute.

Toujours incapable de différencier les us louables des us choquants de votre étrange planète, jamais je n’aurais pu comprendre le paradoxe des sexes sans la colère de Germaude, que je remercie au passage.

Le fait n’est pas rare, il m’est arrivé de rencontrer plusieurs femmes s’offusquer ou rectifier aimablement, l'air de rien, presque machinalement, un "Madame". Ce n'est pas, il me semble, aussi anodin qu'elles veulent bien le croire. Je lisais encore hier -la question désormais me tourmente- que certaines de vos actrices décident de précéder leur patronyme d'un Mademoiselle qui ne correspond pas à leur état civil. Question de tradition, me dit-on: il y a quelques siècles, l’église aurait ôté aux actrices le droit de se marier. Soit.

J’avoue que je ne comprends pas très bien tout ceci. Si j’ai appris une chose en côtoyant vos livres, c’est que les mots ont un sens. Que signifie la présence, de nos jours, de cet usage vieux de plusieurs siècles? un usage qui, en plus, n’est régi par aucun texte légal?

Pour couronner ma perplexité, Rose m’a appris hier que, non contentes d’être réduites dans les mots au statut de mariée ou de non mariées, les femmes françaises perdent leur nom de famille avec joie une fois l’alliance au doigt. J’ai mis du temps à le croire. J’ai dû vérifier. Il disait vrai.
J’ai relu attentivement vos livres d’histoire. Je n'ai pas trouvé les quelques lignes qui mentionnent une persistance de la tradition sémantique contre un progrès dans les faits du statut des femmes. Si elles ne sont pas dans le langage, où se trouvent les traces quotidiennes de ces progrès arrachés au prix de luttes historiques?

Les détails me reviennent en bloc. Il y a peu, une jeune fille me lança un regard furieux lorsque, oublieux comme souvent des courtoisies élémentaires de votre Europe, je passai devant elle pour entrer dans un supermarché.

"Les femmes sont des machos" décréta Germaude, comme possédée par la colère.

Qui pourrait m’expliquer pourquoi ces femmes, dont bien souvent les mères ont combattu ici et là pour leurs droits civiques, ne peuvent s’empêcher d’éprouver du plaisir à l’idée, la plus infime et la plus inavouée soit-elle, d’être un peu, quand même, des objets fragiles à protéger, d’être un peu, quand même, définies par le mariage, d’être un peu, quand même, possédées par quelqu’un, par un homme?

Quelque chose dont le fondement m’échappe vient caresser chez la femme, de nouveau, le sentiment sans doute confortable et rassurant qu’elle peut n’être réduite qu’à un statut de mère (car "c’est un travail à part entière!") et d’objet.

Normes et pouvoir, forces chez vous hautement plus puissantes que la volonté individuelle, seraient-elles entrain de maintenir, par la voix des médias et tout en poussant à la natalité (chose que, par ailleurs, je ne m’explique pas, vu le contexte mondial, mais passons) des institutions qu’elles entendent sauvegarder pour des raisons purement économiques? Ou vos civilisations sont-elles ainsi faites qu’il faut toujours qu’une génération contredise l’autre dans un cercle infernal et sans issue possible? Ou bien alors, vous faut-il, une fois de plus dans cette époque étrange et goulue, tout à la fois, la tradition et la modernité, le pouvoir et l’oppression, la liberté et l’enfermement?

A moins que vous ne soyez que des animaux et que votre "civilisation" soit pourrie, totalement et depuis le début. Car enfin, je me demande pourquoi, au lieu de creuser le sillon de leurs conquêtes sociales, les femmes rétrogradent aussi absolument, chipotent sur des détails lourds de sens et apprécient de temps en temps, pourquoi pas, être regardées comme des choses. Oui, je me dis alors avec tristesse que votre civilisation ne pourrait être, en fin de compte, qu'un énorme mensonge grimant les instincts fondamentaux de votre race : mettre bas, élever et mourir. Désir, plaisir et pensée ne pourraient être que des déguisements élaborés pour cacher l’essentiel de votre condition: copuler pour enfanter, et que le meilleur gagne.

Non décidément, je ne comprends rien.

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