Jeudi 4 Septembre 2008, Big shoot

Aujourd'hui, je suis allé au théâtre. Je crois que je suis déjà allé au théâtre, mais je ne suis pas sûr. Les gens d'ici m'ont dit, vas-y, tu verras la vie. L'idée de voir la vie m'enthousiasme. Pour me convaincre, on m'a fait lire un article, un bel article d'une Fabienne. Elle était sortie sonnée et palpitante de ce spectacle. Alors je suis allé dans le nord de la ville en bus. J'aime les bus. Il était déjà tard, et la nuit commençait à tomber. Au théâtre, on allait peut-être me raconter comment tombe la nuit... Deux femmes dialoguaient fort autour de moi. Leur langue, mélodieuse et hachée, rebondissait, tonique, dans l'air du bus, sans l'aide d'aucune consonne, sans "p" en tout cas. Là, entre leurs yeux étranges, je me disais que j'aimais bien ma langue, car j'aimais bien le "p".

Le bus m'a déposé dans le quartier en chantier. Et j'ai trouvé le Lavoir Moderne.

A l'intérieur, deux autres femmes m'ont salué. Qui étaient-elles ? Elles ont dû me confondre avec un autre... Nous avons bavardé un moment. Elles parlaient beaucoup de théâtre et je n'écoutais pas tout. Il me semble qu'ici, il est toujours bienvenu d'avoir une opinion très précise sur les choses de l'art. Des étoiles dans les yeux, elles disaient connaître personnellement ce Denis Lavant, car elles avaient fait du théâtre, il y a très longtemps, avec lui. Mais j'ai bien senti sous leurs mots que Denis, lui, ne les connaissait plus, qu'elles le savaient. L'écriture de Koffi Kwahulé ? "ma-gni-fique".

La salle était pleine, tout le monde avait lu Fabienne.

J'étais mal assis. Une femme devant moi avec des cheveux hauts regrettait déjà d'être là. La lumière s'est éteinte puis rallumée différemment. Alors c'était ça le théâtre. Une salle nue, des murs pourris et beaux d'être pourris, une foule et un carré lumineux devant. L'homme est arrivé avec fracas, ce n'était pas Denis, mais un autre sur sa peau. Et puis deux. Ils étaient deux sur sa peau. La femme devant moi essayait de dormir, mais les deux hommes dans Denis criaient.
Ils parlaient de tétons durs comme la mort, de tisons à l'intérieur d'une endormie, de palissade fleurie et d'Afrique. Je n'ai pas tout compris, sinon que l'un voulait du mal à l'autre. Je crois que les gens autour ne comprenaient pas tout non plus, car ils riaient lorsque c'était simple et évident, comme soulagés.

J'essayais, de mon côté, de voir la vie, et je l'apercevais parfois, c'est vrai, brutale et crasseuse. Quand elle me manquait, je regardais la femme aux cheveux hauts qui regardait son téléphone. Et d'autres fois, sans l'écouter, je regardais le corps fibreux et doux, le visage cassé dans le carré lumineux, les gestes de l'homme coulant comme l'eau autour d'une chaise. Je me disais, ça doit être dur de jouer si longtemps devant des gens qui voudraient comprendre à quoi on joue. Et puis l'homme a crié, a fait semblant de tuer l'autre homme, de partir dans le fond en riant, puis de s'échapper vraiment dans le noir. Le monde a frappé dans ses mains et dans le sol, fort et longtemps, l'homme est sorti puis revenu, trois fois.
Alors c'est ça le théâtre, ici. Un homme sur une scène qui se déshabille un peu et qui partage sa chaise avec lui-même, en hurlant que le monde est sale.

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