Liserde au Mexique / jour 11

Mariage et faiblesses

Journée étrange, qui introduit un week-end étrange.

La maison de Puri est à l’image de toutes les maisons de El Pozo, à l’image de tous ces gens.

Enorme. Mais tout est encore à faire. Pas d’eau chaude, des habits en boule, des papiers en tas dans les coins, de la poussière, des fils qui dépassent, aucune coquetterie. Un frigo énorme mais vide. Pas de rideau, mais des poignées de porte, des carrelages et des lavabos en marbre. Pas de savon, la douche coule grâce à une chaussette, mais une énorme voiture. Voilà toute l’étrangeté de ces gens et des lieux qu’ils habitent, comme en miroir. La plupart d’entre eux vivent ainsi, avec parfois trois 4x4 à bord desquels ils sont revenus, immatriculés Utah, Nevada, Washington ou encore Florida. Mais dans leurs maisons, les travaux. Le dehors comme un masque de vie abondante, débordante même, de hamburgers, de machines à laver, le dehors qui rêve et fait rêver. Le dedans jamais fini, jamais posé, flou.

Le petit déjeuner est étrange aussi. Les tortillas sont bleues aujourd'hui.

10h. J’ai rendez-vous avec Gil et Lupita à l’église protestante. Elle est enfouie dans le village. Et ici rien n’est indiqué. J’essaye de lier conversation avec les petits villageois. Mais ils sont encore plus méfiants que ceux qui font leur service social. Ils m’indiquent où se trouve l’église, à chaque fois différemment, me disent que je peux aller chez la mariée, voir comment elle se prépare. Je n’ai pas très envie de me retrouver encore avec des yeux braqués sur moi comme des flingues. Je stationne un temps sur le perron de l'épicerie. Je joue avec une petite fille, vite rappelée par son père quand il voit la grande blanche qui s'amuse avec elle.

10h30. J’attends encore, devant l’église cette fois. J'essaye de me rendre invisible. La poussière s'infiltre grâce à la chaleur. J’ai la nausée à cause des tortillas bleues. Gil et Lupita arrivent en bagnole, plus frais que moi.

11h. Me voilà au cœur d’un mariage protestant, criard, infini. Chaleur angoissante. De ma vie je ne suis jamais restée aussi longtemps dans une église. Entre fictions moralistes et paraboles, le prêtre braille et sermonne, avec, en fond sonore, un petit orchestre insupportable mené par Mariano, l’Apache de la caminata, ici chanteur, accordéoniste et harmoniste. J'ai mal partout.

12H30. Les petits mariés arrivent enfin, la démarche rythmée par Céline Dion, à fond.

Deux heure plus tard, je suis achevée. Les premiers étonnements me paraissent bien loin. Envie de rien, absolument rien. Le vent soulève sans arrêt la poussière. De moi il ne reste qu'un tas de lassitude saoulée.

13h. Déjeuner de mariage. Musique assourdissante, aucune joie. Immenses tablées. Les gens ne dansent pas, ne bougent pas. Ils ne parlent pas non plus tant la musique braille. Ils mangent. Sans s'arrêter. Les deux petites femmes en face de moi, situées à l'extrémité de leur vie, ridées comme la montagne et totalement édentées mangent comme des porcs. Puis elles rangent soigneusement les restes dans leurs poches, réinventent le Tupperware avec des tortillas. Je n'ai plus d'appétit. Elles prennent mes restes en riant.

Le marié part demain pour les EU. Tout le monde fait la queue pour lui donner des sous.

16h. Migraine.

Je traine au grand canyon, je filme mollement les touristes qui braillent en faisant de la tyrolienne. Plus de cassette. Je croise Leti, la sœur de Silvia. Elle vend des bijoux en coquilles de pistaches. Elle me raconte sa vie alors que je n’attends plus rien, comme toujours. Elle a fait la caminata samedi dernier. Mais elle dit en riant que ça n’a aucun rapport avec la réalité. Elle a traversé deux fois la frontière. Elle veut bien que je vienne la filmer dans la semaine.

19h. J’attends la caminata. Je suis épuisée.

Je croise la fille de Martinita, Marlen, qui fait la guide criarde dans la caminata. On se donne rendez-vous demain à la piscine.

Tout me gratte. Je sens que le pollen m’a pénétré.

J’attends encore. Et puis rien. La caminata est annulée. On me dit qu'il y a trop peu de participants, mais je soupçonne le délégué d'avoir annulé pour pouvoir bouffer du poulet au mariage.


20h. Je rentre chez Puri dans la nuit, pleine d’allergie à cause du vent, de la poussière et du printemps. Je suis seule dans l’énorme maison. Rien à manger. Que du poulet volé au mariage. Diète. Je regarde Trois Enterrements dans mon petit ordinateur, sous les yeux de Jésus et de sa brebis déprimée.

Aucun commentaire: