Le dimanche, ici, est un jour original.
Certains disent que c’est le dernier, d’autres que c’est le premier, d’autres encore qu’il est les deux à la fois, c’est à dire un espace-temps qu’ils peuvent perdre à loisir. Et en effet, ils le perdent avec un enthousiasme merveilleux.
Leur rapport à certains objets qui, habituellement, causent fouillis d’actions irrationnelles et angoisse attendue n’est plus le même, en témoigne la jouissance qu’éprouve mon ami Rose à mesure que le dimanche passe sans que son téléphone ne distribue dans l’air ne serait-ce qu’une minuscule sonnerie. Et j'observe surtout l’amour dominical qu’il porte aux bêtes : les animaux galopent, volent, sautent de liane en liane au creux d’une interminable jungle, se pourchassent et s’entredévorent des heures durant dans son infatiguable télévision, cette même télévision devant laquelle, hier encore, pelotonné dans sa culpabilité, il croquait ses ongles.
Le dimanche, Rose regarde sa planète, mange des bonbons à la fraise des bois et s'endort si son corps le réclame devant d’infâmes limaces s’accouplant sur l’écorce.
Entre-deux étonnant, le dimanche, ici, est un jour facultatif. Egalement inutile pour tous, il semble permettre à chacun de se vider de soi et de ses semblables. Il flotte, l'air de rien. Et il sait se faire attendre, car ce rien est un plaisir que peu d'hommes avouent désirer plus que tout autre.
J'ai parfois même l’impression, en regardant mon ami Rose pendant que je vous écris, que les hommes d’ici sont profondément programmés pour ne rien faire, que c'est là leur nature.
J'en ai vu certains s'insurger contre cette nature, d'une manière toujours excessive et que je ne m'explique pas. Ceux-là s’agitent en toute occasion, crient leur haine pour le dimanche, sa mollesse, sa tristesse et toute la chrétienté. Ils la craignent peut-être, cette nature qui ressemble à la mort. Et ils errent, désespérés, parmi les rues vidées de leur fougue habituelle, ils se pressent parmi les passants, les lents, si lents passants qui éprouvent enfin l'inutilité fondamentale des choses, parmi les voitures anesthésiées et oublieuses. On les voit, ces travailleurs du dimanche, on entend leur plainte amère résonner sur les façades, les sémaphores, les bonbons à la fraise des bois de ceux qui ne sont, pour un jour, plus que des corps.
Je ne comprends pas tout, il faut m’en excuser. Mais je constate que les hommes d’ici n’aiment pas ce qu’ils appellent le travail. Ils n’aiment pas être obligés de faire des choses, ils bougonnent, froncent les sourcils, ferment leurs mâchoires ou bien rient excessivement en parlant de passion, ce qui revient au même (car ils sont si tendus, les passionnés, si tendus...). Le travail ne leur est pas naturel. Leur nature, c'est le dimanche.
Peut-être que le dimanche est, en réalité, le seul jour où les hommes existent vraiment. Le seul jour où les hommes sont des hommes.
Dimanche 7 septembre, dimanche
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