Jeudi 12 février, cas 2: les favelas.


Vous avez sur votre monde des cités construites avec presque rien. Chaque pays a ses bidonvilles, chaque pays leur donne un nom différent. Votre vocabulaire assez restreint (comme je l'ai déjà dit ici) ne s'est donné la peine de retenir que les favelas brésiliennes, appelées ainsi par leurs premiers habitants à cause d'une plante fleurie, la favela, qui poussait un peu plus loin, vers Bahia, sur une colline qui ressemblait à celles de Rio. Origine quelque peu étrange -le nom scientifique de la favela (jatropha) dérive du grec "médecin" et "nourriture"- pour un endroit qui manque singulièrement de nourriture et de docteurs.

Bref. J'ai appris que la visite des favelas cariocas était devenue incontournable, à pieds ou en jeep, au même titre qu'un monument. S'agit-il pour vous de voir "en vrai" la misère, la saleté la cruauté?

Je ne comprends pas.

Comme avec les requins, que vous allez observer soit-disant pour constater qu'ils ne sont pas si méchants, les agences touristiques expliquent qu'elles ont créé les "favela tour" pour montrer (en trois heures) la réalité des favelas dont les habitants travaillent et gagnent leur pain comme tout le monde, pour montrer que la plupart n’ont pas d’armes et ne se droguent pas, ce qui est sans doute vrai. Mais après cette belle justification, ils ajoutent "il est déconseillé de s'y aventurer seul". Et quand certaines d'entres elles poussent leur action pédagogique jusqu'à faire rencontrer aux touristes des chefs de gangs, option facultative augmentant le prix de la visite, je me mets à douter sérieusement.

Le succès de La Cité de Dieu, un film "violent et beau" a, semble-t-il, boosté la demande. Et les quinze premières minutes du film Hulk, que j'ai vu l'autre soir avec Rose, se déroulent aussi dans une favela, cachette idéale pour un homme traqué et labyrinthe exceptionnel pour qui aime les courses-poursuites au milieu des cris des pauvres.
C'est la violence qui vous attire, j'en suis sûr. Avec ses flingues, ses hommes dangereux, ses requins, sa jungle.

Je ne comprends pas où ce désir de frisson, de vertige prend racine. Votre vie vous ennuie-t-elle à ce point qu’il vous faille observer son exact opposé et tâter la misère, la mort possible, la peur que vous n'éprouverez jamais ?

J’ai posé la question a Luzerde et Karl, amis de Rose férus d’ailleurs, qui, après moulte babils sur la réalité de la télévision à vérifier, disaient-ils, quoiqu’il arrive (ce mot réalité, je ne le comprends plus très bien car selon moi, Luzerde et Karl veulent vivre des émotions aussi fortes et aussi rapides que celles qu’ils voient dans la télévision, et au final ils ne vivent rien parce qu’ils sont sans cesse dans le fantasme, mais passons), ils ont fini par lancer :
"Les pauvres sont plus heureux que nous !"
(jolie façon que vous avez, toujours, de dénouer la culpabilité.)

Je me demande ce qu'ils diraient après avoir visité un bidonville danois, où en plus d’être pauvres, les hommes ont constamment froid.

Je me demande si un folklore de la misère au soleil n’est pas entrain de germer en vous, linge suspendu caressé par le vent, chaleur torride, musique incessante, bronzage involontaire et vue sur la mer (du haut des collines, quel panorama!), maisons multicolores et pas si inconfortables, cris des enfants, un peu de violence, oui, car l'homme reste homme, vieilles femmes ridées par la vie mais toujours souriantes, etc... Une représentation qui vous rassure car elle permet, je crois, d'éviter la réalité. La nuance vous horripile.

Soudain je me prends à inverser la donne. Que penserait un favelado après avoir visité ne serait-ce que la ville cossue aux pieds de sa colline, que serait pour lui la réalité des riches ?
"Ils sont plus heureux que nous !" dirait-il, sans aucun doute possible.

2 commentaires:

Anonyme a dit…
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