Liserde au Mexique / jour 2

Cliché(s)

Matin. Mexico DF

Je me prépare pour aller à Ixmiquilpan, dans l’Etat d’Hidalgo, au Nord du pays. Là-bas m’attend Lupita, une jeune sociologue qui m’a beaucoup aidé dans ce projet. Elle fait sa thèse sur l’immigration dans la communauté indienne de El Pozo depuis deux ans. Etrange, Je n’ai communiqué avec elle que par mail.


En achetant mon billet d’autobus, on me dit qu’il faut deux heures pour se rendre à Ixmiquilpan. Quatre heures après, j’arrive dans la gare de bus poussiéreuse. Je commence à saisir doucement la notion du temps dans ce continent.


J'attends encore une heure à côté d'une vieille Indienne qui me donne des graines.


Lupita arrive en bagnole avec Gil, son époux, et Fridita, leur fille. "Désolés pour le retard, la petite avait mal au ventre". On va directement à El Pozo car "la petite veut prendre un bain". Sur la route, le paysage est aride, ponctué de montagnes et d’énormes cactus. Inévitablement, je pense aux paysages de westerns, et au Mexique d’Epinal. Petites maisons inachevées, poules et dindons en liberté, musique constante, couleurs, jus d’orange, tortillas, pauvreté.


El Pozo est un village minuscule au milieu des montagnes, étendu sur plusieurs kilomètres. Deux sites sont destinés aux touristes : une piscine bordée d’un terrain de camping et, plus loin, le Grand Canyon. Fridita et Gil se baignent, pendant que Lupita et moi discutons de sa thèse.


Les Indiens de El Pozo sont des migrants. La plupart d’entre eux vivent aux E.U. La loi de leur communauté les oblige à revenir tous les 8 ans au village pour faire leur service social, qui dure un an. Pendant cette année, ils travaillent gratuitement: construction, services aux touristes, artisanat. Détail important : presque aucun d’entre eux n’a de papiers d’identité, ni de visa, et encore moins de passeport. Une communauté clandestine.


Nous saluons plusieurs villageois, qui travaillent à la construction d’une chaussée. Ils me regardent étrangement. Trop blanche, trop grande, je ne peux être, à leurs yeux, qu’une Gringa. Mon affaire s'annonce complexe, longue. D’abord, la plupart des Indiens parlent mal l’espagnol. Et puis, sous leur air extrêmement affable, ils se méfient énormément. Il me faut donc absolument rencontrer le délégué, mon passe-droit. J’ai de la chance, me dit Lupita. Les autres délégués étaient des cons. Et celui-là est très ouvert. Nous croisons José, le sous-délégué, qui nous apprend, du haut de son tracteur, que le délégué effectue une "mission délicate". Lupita décrypte : José n’a pas envie de nous dire où il est. Nous reviendrons demain.


La petite a pris son bain, mangé ses chips, sa glace, bien dégueulassé son pantalon. Nous repartons. Le soleil se couche sur le village éclairé par la lune, nous sommes presque dans un film, déjà.


Ixmiquilpan est une ville bruyante avec un énorme couvent, une église et une place, comparable à une petite ville de province française. Dans la maison familiale, rien n'est posé. Ils repartent tous les trois bientôt en Allemagne, à Bielefeld, où se trouve leur université. Lupita, elle aussi Indienne, a toute sa famille non loin de là, dans un village semblable à El Pozo. Gil est un Allemand à moitié Brésilien, lui aussi sociologue. Fridita, quatre ans, reine et centre du foyer, confond toutes les langues.


Repas de salamis et café au lait, petite mollesse et réflexions intellectuelles, mêlées à une certaine nonchalance. L'ambiance me semble très étrange, je fais de mon mieux pour la trouver normale, connaissant ma lisibilité faciale. Fridita donne des ordres, supporte peu qu'on l'ignore, regarde des dessins animés allemands en faisant semblant de manger. Pour une raison que j'ignore, Lupita et Gil, adorables, essayent de me parler de Jean-Luc Godard. Dans un coin du salon, fantomatiques, on entend parfois rire les deux cousins ados, patauds, scotchés à leurs PC d'où s'échappent des rythmes mexicains, qui crèchent là parce qu'il y a internet. J'apprends qu'ils préparent médecine.


C'est dans un fouillis intérieur que je vais me coucher, sans bien comprendre ce qui m'arrive, ni où je suis. Ici, rien ne ressemble à rien. Les clichés ont disparu.

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