Liserde au Mexique / jour 6

Délire(s)

Ixmiquilpan. J'ai de la fièvre. Lupita et sa despote m'accompagnent chez le docteur, sous un soleil pénétrant. Il fait très chaud, et le trajet me parait éternel.

La salle d’attente, ornée d’une trentaine de diplômes encadrés, dont certains en double, est aussi tranquille que l’infirmière. Pas de queue, d'ailleurs le docteur est occupé, nous dit-elle. Fridita a faim.

Après un temps, la femme revient. Elle me regarde comme si je venais de la lune, écoute ma peine avec ses deux yeux frais. Je repense à la chanson

Que bonitos ojos tienes, debajo de estas dos cejas...

Je ris, j’ai de la fièvre. Lupita décrit mes symptômes. Je fixe intensément la masse capillaire de l'infirmière qui repart encore, mais où?

Fridita tombe d’une chaise, elle s’ennuie. Je bredouille à Lupita que je peux rester seule.

Me voilà seule avec l’infirmière compatissante qui a réapparu après un temps incertain. Ses ongles sont longs, j’ai terriblement chaud. Elle m’accompagne dans le cabinet du Docteur. Les murs sont jaunes, truffés d’affiches anatomiques très anciennes et totalement effrayantes. Les muscles sous la peau paraissent filandreux, je m’assois sur le lit. A ma droite, une table de gynécologie rouillée datant des années 50 me regarde avec méfiance.

L’infirmière n’arrête plus de parler. Elle croit que je suis gringa, je lui dit que non, je suis de Paris: "Ay que bonitooo!!". Bien sûr, elle me demande si je suis mariée. Je répond que oui, sans doute à cause de la fièvre. Je ne me souviens pas exactement, mais il me semble que le mari que je m'invente alors est psychologue. Je ne sais vraiment pas pourquoi. Elle est épatée, me demande combien je pèse.

Et soudain elle me laisse là, thermomètre sous l’aisselle, pas fière. Longtemps. Je regarde encore les muscles et les tendons des hommes dessinés. Ils sont très blancs, ces hommes, et blonds. La pièce est douce et silencieuse. Je me souviens que je suis au Mexique.

Comme par enchantement, l’infirmière réapparait. Il faut que je dégage une fesse. Elle me fait une piqure "celle-ci fera baisser la fièvre". Pour que la piqure fasse son effet, je dois apparemment rester seule encore, bien longtemps, dans le cabinet jaune. Tous ces muscles ont des noms, comme les astres du ciel. Je crois que je m’endors, j'ai envie de courir dans les muscles des hommes.

Décidément magique, l’infirmière revient. Elle est au téléphone avec le Docteur, pauvre docteur compressé dans les embouteillages, qui lui donne des conseils. Elle m’avertit : une autre piqure va avoir lieu. Très douloureuse. J’ai peur. Mais ses yeux frais me rassurent. Je me dis qu’au Mexique on doit apprendre aux infirmières à avoir les yeux frais. Je lui dis que je ne suis pas habituée, que dans mon pays c’est très rare les piqures. Elle s’étonne démesurément : « ah bon ? Et comment vous faites alors ? ». Je bafouille. Elle m’injecte subtilement le produit, je hurle. J’ai froid. Elle s’excuse totalement, je veux dire avec tout son corps.

Cette piqure apparemment nécessite la compagnie des mots pour faire effet. L’infirmière reste donc avec moi très longtemps, me parle de la région, me montre des revues, tout en envoyant des sms au Docteur qui court dans la ville, dit-elle, pour me voir. J'imagine alors un docteur désespéré, courant sous le soleil entre les voitures, trempé de sueur. Elle me raconte des tas de choses, je crois qu'il s’agit de grottes et de liquides.

Soudain le docteur arrive, auréoles sous les bras. Il me fait tousser, mesure mon pouls. Mes yeux s’ouvrent et ma fesse me fait mal.

Soudain dans son bureau, il me donne tout un tas de médicaments.

Pas un seul client dans la salle d’attente.

Là je n’ai pas assez pour le payer. « C’est pas grave, revenez demain ! ».

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