Samedi 6 septembre, Darwin


Hier, on m’a fait regarder un film pour que je comprenne le monde.

Le Cauchemar de Darwin.

Ce film a eu du succès, à ce qu’on m’a dit. Ca ne m’étonne pas tellement. Votre énorme inquiétude autour de la nourriture a dû jouer. C'est le règne de l'œsophage. Il y a même des jeunes filles qui ne veulent plus se nourrir. Peut-être qu’elles se sentent coupables, et ne veulent plus exister. J’ai du mal à comprendre, à vrai dire, cette coutume.

Mon ami Rose, qui m’héberge, après avoir vu ce film, a bien failli tomber dans son frigidaire. Il avait faim. Curieusement. Et il m’a forcé à regarder ensuite une émission sur les enfants malades de la nourriture. Des femmes aux maris muets parlaient de leur angoisse à nourrir leur progéniture.

Il me semble que bien des choses naturelles sont source d’angoisse ici. Je ne sais pas ce qu’est exactement l’angoisse. Mais plus on apprend aux gens à respirer, à faire l’amour, à accoucher, à dormir, à marcher, à rire, plus ils angoissent. Voilà le phénomène. Qu’est ce qui a pu se produire pour que les gens d’ici ne sachent plus rien faire ?

Le titre du film, surtout, m’a paru curieux. Si c’est là le cauchemar de Darwin, ce n’est pas le seul, enfin je crois. J’ai rencontré des gens qui ont vécu un autre cauchemar, dicté par un homme très pâle, comment s’appelait-il, déjà ? Il portait une étrange moustache carrée et fine... J’ai une mémoire d’oiseau.

Je crois que ce Darwin ne serait pas étonné par ce film, enfin, excepté le fait qu’il n’ait pas connu le cinéma et les airbus. Je crois qu’il n’avait pas besoin d’aller chercher très loin dans son inconscient pour s’affliger -si toutefois il était homme à s’affliger- de la « barbarie des hommes », comme on dit par ici.

« S'il existe des peuples assez sauvages pour ne jamais songer à s'occuper de l'hérédité des caractères chez les descendants de leurs animaux domestiques, il se peut toutefois qu'un animal qui leur est particulièrement utile soit plus précieusement conservé pendant une famine, ou pendant les autres accidents auxquels les sauvages sont exposés, et que, par conséquent, cet animal de choix laisse plus de descendants que ses congénères inférieurs. Dans ce cas, il en résulte une sorte de sélection inconsciente. Les sauvages de la Terre de Feu eux-mêmes attachent une si grande valeur à leurs animaux domestiques, qu'ils préfèrent, en temps de disette, tuer et dévorer les vieilles femmes de la tribu, parce qu'ils les considèrent comme beaucoup moins utiles que leurs chiens. »

Vous êtes horrifiés? pas Charles. Charles observait, voilà tout, la nature des choses. Ici, on prête à certains morts un angélisme qui frôle le merveilleux. Aux siècles antérieurs aussi, d’ailleurs, et aux tribus lointaines, simples et braves par delà la modernité délétère des grandes villes. Il faudra que je me penche là-dessus.

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