Introduction au journal de Liserde

Liserde est un brouillon. D’un point de vue de chercheur, elle est presque une allégorie de la perte de repères qui caractérise votre civilisation. C’est en cela qu’elle m’intéresse. Vous pourrez voir dans ces quelques mots d’introduction à quel point elle est nuageuse, confuse, mélangée en elle-même, multiple. Elle ne peut s’asseoir sur rien. Comme je la plains. Par conséquent je vous conseille vivement de la lire, car je ne serais pas étonné que vous y retrouviez un peu de vous-mêmes.
Bien à vous,
Raymonde.

Ce voyage au Mexique est le point de départ d'un projet audiovisuel : un web-documentaire doublé d'un long-métrage documentaire, Fiction(s).

Je pars avec ma caméra dans une communauté Indienne pour sonder les mécanismes de son offre touristique : une mise en scène de la traversée de la frontière par les clandestins. Dans ce petit village que j'appellerai ici El Pozo, situé à plus de mille kilomètres de la vraie frontière, réel et fiction se pénètrent et se croisent de façon ordinaire ou extraordinaire selon l’angle sous lequel on observe les choses.

Comme Raymonde, je n’aime pas voyager pour faire ce qu’il y a à faire dans un lieu où les étapes sont listées. Je n’ai pas peur de perdre le temps où les vues à ne pas manquer. Il explique ça très bien. Mais à l’inverse de Raymonde, je comprends totalement cette peur qui habite mon époque et mes semblables. Elle fait partie de moi.

Il me semble que nous sommes, nous qui naissons dans les pays dits développés, prédisposés au tourisme. On observe ici et là des tentatives quasi désespérées pour prouver qu’on voyage "mieux" que le voisin, mais c’est inévitable, historique, culturel. Des touristes au sens large. Nous abordons le monde, les autres, nous-mêmes avec les yeux d'un touriste. Comment décrire les yeux d'un touriste ? Les vrais penseurs sont doués pour ça. Ils savent relier cette façon de regarder les choses à notre rapport aux images (Comolli, Deleuze…), aux normes (Foucault), au quotidien (De Certeau), au temps (Virilio), etc.

De mon côté, je tente de trouver un point stable où exister entre cette distance théorique passionnante mais invivable et mes propres yeux, semblables à des éponges qui ramassent tout ce qu’elles trouvent, des éponges touristiques. C’est assez difficile, et ce journal en est la preuve.

Je n’aime pas les grandes affirmations, leur aspect définitif m’effraie. Et encore une fois, je ne suis ni sociologue ni théoricienne. En voilà un qui porte ces masques mieux que moi :

Sous ses formes presque infinies, le récit est présent dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les sociétés ; le récit commence avec l’histoire même de l’humanité ; il n’y a pas, il n’y a jamais eu nulle part aucun peuple sans récit (…) le récit est là, comme la vie.

Roland Barthes

Aucun commentaire: