Lundi 8 septembre, Carla, Michel et Nicolas

Hier, je n’arrivais pas à dormir (vos lits sont si tendres). Alors j’ai regardé un peu de votre télévision. Les diffusions de cet engin sont de bons somnifères en général. Mais après minuit. Plus tôt dans la soirée, ce n’est pas possible. Trop de cadavres. Démis, fracturés, dépecés, lacérés puis expertisés, inspectés par des hommes fins, volontaires, qui cherchent, inlassablement, au prix de leur vie privée, au prix même d’une toilette rapide ou d'un encas, les auteurs de ces meurtrissures. Comment s’endormir ? Rose, lui, s'endort sans scrupules. Quel manque de respect.

Donc hier, au creux de la nuit, j’ai allumé l’objet. Les policiers sales et affamés n’étaient plus là depuis longtemps. A leur place, une grande boite très lumineuse, un homme et une femme dedans, face à face, chacun dans un fauteuil rouge.

J’avais déjà vu la femme, mais où ? Elle avait le visage si lisse que j’ai dû vérifier le câble de Rose -est-ce que l’image était bonne?-, mais l’homme en face d’elle était, lui, plein de sillons à peu près normaux, je veux dire qu’on lui voyait le nez. L’image était bonne.
Les yeux de cette femme, surtout, étaient stupéfiants. Des billes. Ils roulaient démesurément et sans arrêt. A coup sûr, toute la fatigue que me causait ce regard m’enverrai bientôt sous les draps. Sans l’écouter (car elle parlait beaucoup, cherchait ses mots), je me concentrais sur ces yeux sans nez. Qui était-ce... ? Ma mémoire étant très mauvaise, j’ai abandonné assez vite, d’autant que ces billes ne tenaient toujours pas en place, et que cet excès d’énergie me donnait faim. J’ai décidé d’écouter.
L’homme n’était que gentillesse. Opinant franchement à chaque nouvelle parole de la femme sans nez, il affichait, bonhomme, un sourire délicat et sans contraction, s’attendrissant en toute occasion, bienveillant plus qu’amical, rassurant. Etait-ce son père ?

Elle l’appelait Michel, il lui disait Carla.

Un reportage compilait tous les voyages de Carla aux côtés d’un petit homme très drôle. Lui, c’est certain, je l’avais déjà vu, et même entendu. Sa tête longue aux bouts carrés surmontait un corps fadasse, large par endroits, sans nervures à d’autres, vif pourtant, mais avec des bras trop longs dont il ne savait que faire. Qu’il était drôle à regarder. Etait-ce un comédien ? un comique ? Je me suis soudain souvenu d’une de ses parodies. Il y a quelques temps, il jouait un président de la république faisant un long discours aux Africains. Le numéro était vraiment intelligent, car sous les mots on sentait vraiment son mépris. Une belle plume, un beau cynisme, un comédien épatant.

Le reportage était très amusant. Nicolas et Carla cheminaient sur le monde à la recherche de protocoles. Au moment où ils saluaient la reine, Rose se leva et, exaspéré, me demanda d’éteindre cette «merde». Rose n’a aucun sens de l’humour.

Mais je ne l'ai pas écouté, et j’ai passé un excellent moment.

Carla, cambrée dans sa robe jusque dans les hôpitaux malgaches, emportait partout sa petite voix râpée et ses cheveux propres (cette femme semblait en communication permanente avec ses cheveux). Comme j’ai ri lorsqu’elle serra la main du chef des bouddhistes, lorsqu’elle se lova ensuite tout près de lui, en faisant semblant de lui parler, sur un long fauteuil brodé. Le reportage trouva sa juste chute dans la mise en scène d’un sommet international. Debout sur une estrade, elle sentit le soleil briser ses yeux ronds et sortit de son petit sac une paire de lunettes de soleil qu’elle posa sur son nez de cire, juste avant de réajuster ses cheveux d’une propreté, là encore, extraordinaire, pendant que sa bouche s’arrondissait.

Après le reportage, Michel, situé à l'extrémité de la compassion (quel acteur!), se tourna vers Carla et lui demanda : «le réel ne laisse pas de répit, n’est-ce pas ?». Je n'ai pas pu dormir. Je me suis demandé toute la nuit d'où vous venait cet incroyable sens de l'humour.

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