Mercredi 10 septembre, le temps presse

















Ils ne peuvent pas vous indiquer la route. Ils sont pressés. Ils ne peuvent pas vous attendre, ils sont pressés. Je ne cesse d'admirer le ballet quotidien d’hommes et de femmes pressés enjambant gares et boulevards, matin, soir, partout, et en particulier dans cet étrange lieu gris et jaune que vous appelez LA POSTE, constamment surpeuplé d’individus pressés les uns derrière les autres.

Je me suis longtemps demandé ce qui pressait les hommes d’ici avec tant d’ardeur.

Dans votre dictionnaire, presser signifie serrer de manière à extraire un liquide.

En effet, l'homme est souvent serré, mais je ne vois personne le presser, excepté peut-être le temps, qui avance toujours contre votre volonté, derrière ou devant vous, jamais à l’intérieur. Bien sûr, c’est lui le presseur, décomposant le jour en morceaux obligés, pilant vos heures sans s’arrêter. Mais dans ce cas, quel est le liquide obtenu? Serait-ce là l’origine de la sueur? Et que fait donc le temps de toute cette sueur ? Est-ce qu’il la boit, comme un bon jus de fruit ?

Voyons voir. Selon le même dictionnaire, la sueur est légèrement trouble, d’odeur plus ou moins forte, de saveur salée, essentiellement composée d’eau, de chlorure de sodium, d’autres sels et d’acides gras qui, dans certaines conditions, au lieu de se vaporiser au contact de l’air, s’amasse à la surface de la peau sous forme de gouttes ou de gouttelettes.

Il ne me dit pas si la sueur est, ou non, la boisson du temps.

Mais si c'était le cas, je comprendrais mieux la guerre que vous menez ici contre elle, en fabriquant des déodorants à chaque fois plus performants, qui résistent à tout, même à la nuit, qui donnent à la femme l’envie d’être pleinement femme et de danser en robe blanche au milieu de ses collègues de bureau, qui permettent à l’homme nu de laisser s'épanouir son brûlant désir d’aisselle jadis frustré, et, récemment, j’en ai vu un dont l’efficacité durait quatre jours. Quatre jours sans suer. Est-ce possible ?
Cette guerre est donc bien, indirectement, une guerre que vous avez lancé contre le temps. Par peur, sans doute, qu'il boive votre jus, et peut-être même qu’il vous dévore. Car qui sait si le temps, rassasié de la sueur des hommes, ne se décidera pas un jour à les croquer.

Excusez-moi, je ne comprends pas tout. Peut-être que je me trompe, et que ce liquide produit par le temps n’est pas uniquement composé de sueur. Vous utilisez aussi ce mot liquide pour désigner l’argent (comme vous êtes compliqués). Votre terreau populaire véhicule d'ailleurs la certitude que le temps n'est que de l’argent. Et chez vous, l’argent coule, nécessitant parfois la sueur, celle du front ou du coude, si j’en réfère à vos croyances. Ces deux liquides sont liés, indéniablement, issus pareillement du pressage.

Pour résumer, le temps presse l’homme et produit ainsi la sueur, ou l’argent, ou les deux, l’argent ne pouvant parfois être produit que par la sueur.

Certains hommes ont beau être pressés, le temps n'obtiendra que de la sueur, la sueur ne donnera rien. Et j’en ai vu tellement, dans vos grandes villes, des hommes à la sueur stérile. Est-ce un défaut de pressage? Certains même ne s’encombrent plus de déodorant ou de courses avec le temps. En réalité, plus rien ni personne ne les presse, mais l’odeur de leur sueur semble dire qu’ils ont, forcément, eux aussi, été un jour pressés.

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