Mercredi 29 octobre, touristes


















Alors bien sûr, bien sûr, je m’étonne encore, et je m’en excuse.

Rose, depuis dimanche, héberge quelques amis venus du sud. Luserde et Karl, un couple. En rentrant hier d’une stupéfiante journée toute entière découpée pour ne rien "rater", depuis leur fatigue ils ont prononcé cette phrase incroyable :

"Nous avons fait Notre Dame en une heure."

Vous avez, comme tous ceux d'ici bas, vos visiteurs. Appelés touristes, ils vous sillonnent et se portent vers vos pierres. Qu’il soit homme ou pays, l’autre est réduit à l’état minéral. L’art et la religion les attirent tout autant. Qu'y cherchent-ils? Moi-même je m’y perds, mais tout de même, excusez-moi, la culture, chez vous, respire si faiblement ! Mausolées, sépulcres, stèles, stoupas, tombeaux et tumulus, les monuments sont aussi rigides et aussi froids que la mort, vous en conviendrez. Cette grande tour d’acier bien étrange et bien laide qu’on trouve à l’ouest, malheureux pilier de cette cité, me noue l’estomac. Les musées, quant à eux, ne m’ont jamais plus. S’y promener est ennuyeux, rien n’y vibre, rien n’y renaît que le bruit de la climatisation. Et tout cela est sans doute lié à votre amour pour l’ancien, stable passé qui vous élève et vous définit. Ne rien changer, ne surtout rien déplacer dans ces territoires de grandeur et d’infini pittoresque. Quelle frayeur j’éprouve face à vos pourritures adorées. A l’intérieur, tout est creux.
Le touriste, alourdi bien souvent par une obligation de faire que je ne m’explique pas, obligation qu’il traîne comme un boulet, visite, en réalité, un décor fragile, si fragile. Un gruyère théâtral.

Les deux amis de Rose ont donc fait la cathédrale. Tous les synonymes de ce verbe, et ils sont nombreux, ne parviennent pas à m’éclairer sur son utilisation, ici, dans cette phrase. Ils ne l’ont pas vue, ils ne l’ont pas goûtée ni étudiée, ils l’ont faite. L’action est plus intense, plus grave, plus sérieuse, elle exclue la promenade, sans doute trop légère, trop aléatoire, trop distrayante, autant que la visite, trop formelle, presque rugueuse. Ils ont préféré construire, littéralement, la cathédrale en une heure, remplacer poutres et piliers par des adjectifs exclamatoires : formidable, impressionnant, énorme..., et voilà qui est fait, posé, expédié. Ils l’ont fait.

Pour mériter ses vacances, le touriste doit travailler. Il doit suivre une liste bien précise d’actions, petit panel arbitraire dicté par je ne sais quelle instance de sa culpabilité. Faire la ville puis faire la fête et faire sa nuit. Certains ont fait l’Himalaya, d’autres la grande muraille, ces petits dieux construisent inlassablement un monde à chaque voyage, un monde qu'ils inventent et qu'ils répertorient si activement qu'ils en oublient même de le regarder.

1 commentaire:

RB a dit…

Comme c'est bien dit mon Raymonde. J'ai été saisi de la même incompréhension, l'autre jour, lorsque après trois jours de bonheur dans les criques ensoleillées d'une âpre côte ibérique, un soudain mauvais temps et un frio polar me poussèrent, idée saugrenue, à me retrancher dans un musée dalinien. La visite fut peut-être plus surréaliste que les oeuvres du maître : la file d'attente qui commence à l'extérieur se poursuit à l'intérieur dans d'etroits couloirs en spirale ; la foule qui s'amasse derrière vous vous pousse continument vers l'avant, au pas de charge, et vous finissez par être éjecté par la porte de sortie sans avoir vu grand chose, mais surtout heureux et soulagé de n'être pas mort piétiné. Je n'ai jamais aimé les musées, mais l'expérience m'a guéri de la petite culpabilité que je pouvais ressentir en n'allant pas les visiter.
Sur une note plus personnelle, je n'ai pu vous amener vos chameaux, n'ayant pas croisé d'échoppes ouvertes lors de mon périple.