Oui, j’écris peu, mais figurez-vous qu’on m’a fécondé. Me voilà, moi,
Raymonde, venu d’ailleurs et majoritairement masculin, enceint. J’écris peu.
J’écoute en moi grandir une vie qui n’est pas la mienne. Etonnant, terrible, neuf.
Laissons de côté cet agrandissement soudain.
J’aimerais évoquer un sujet qui vous enflamme et vous fait manifester ici
et là, en France, depuis quelques mois. Le mariage et l’adoption. Pour tous.
Afin d’aller droit au but et vous éviter une trop longue lecture, je décide
de ne pas creuser, une fois n’est pas coutume, la très ancienne tradition du
mariage et la définition de ce terme, où le juridique et le religieux se nouent
d’une manière si complexe que j’ai peur de me perdre. Il faut encore que je me
documente à ce propos. Mais enfin, de mon point de vue, le mariage semble rassurer
des signataires effrayés par la finitude, le désamour, sceller jusqu’à la mort
une alliance illusoire, et faucher du même coup une valeur que moi, Raymonde,
je vénère plus que tout autre: la liberté.
Mais le mariage, c’est un moyen. Et je secoue mon scepticisme au nom de
l’égalité des droits, même si ce droit-là me chiffonne. Et puisqu’il faut un
mariage pour élever un enfant dans un cadre "normé", puisqu'il faut qu'on ait tous le choix et la liberté de se marier ou pas, j’affirme : soit le mariage pour personne,
soit le mariage pour tous. Voilà, c’est dit. Passons.
J’ai envie de m’attarder sur le désir d’enfant. Pourquoi
fait-on des enfants ?
D’abord, je voudrais exclure une première généralité. J’entends "l’amour
est la seule condition pour faire d’un enfant un être équilibré". C’est
beau. Pourtant, je crois que ce n'est pas si simple. Le mot "amour" change de sens selon celui qui le prononce. On étouffe, on
emprisonne, on tue des gens par amour… Qu'on soit homme ou femme, il me semble qu’on
ne donne que ce qu'on peut donner. Et on a tous dû "faire avec"
l'absence, le peu, le moyen, le trop d'amour qu'on nous a donné. Non ?
Je suis surtout troublé par ceux qui énumèrent les lacunes d’un couple
homosexuel quant à l’éducation d’un enfant. Ces voix sous-entendent par
conséquent qu’un couple hétérosexuel assurerait forcément une éducation "normale"
ou encore "naturelle" à un enfant, et ce "depuis la nuit des
temps". Je ne comprends pas. Que viennent faire ici la norme, la nature et la nuit des temps ? Ce qui est normal ou naturel relève du point de vue. La norme change
selon les époques, et la nature aussi… Qu’est-ce qui est naturel ? Par
exemple, est-il naturel d’être croyant ? Ou encore, est-il naturel de
porter des vêtements ? Pourquoi serait-ce plus naturel de
porter des soutien-gorges ou de manger du poulet gavé d’OGM que d’être
homosexuel ?…
La nuit des temps, quant à elle, me fait tellement rire que j’ai du
mal à écrire.
Passons sur les mots. J’ai très envie de poser la question à l'envers : que peut donner un couple homosexuel à un enfant ? Si je la pose, c’est que je suis persuadé qu'un couple homosexuel peut transmettre la liberté de penser, en commençant par la liberté de penser sa sexualité. Et donc la liberté d'être soi-même. Je m'explique.
J'ai vu récemment, dans mon entourage et simultanément, deux pères de
familles dites traditionnelles révéler leur homosexualité, à 60 ans.
Le "coming out" tardif de ces deux amis fait des ravages. Leurs enfants se sentent trahis et nés d’un mensonge, sans parler de leurs épouses. Si ces hommes avaient eu le droit d'exister en tant qu'homosexuels, leur vie aurait été bien différente. Ils ne se seraient pas sentis obligés de fonder une famille en tant qu'hétérosexuels et de mentir. Ils n’auraient pas entrainé autour d’eux et après eux une intense douleur, des vies entières à réparer et pardonner, en commençant par la leur.
Comme vous le savez, ils ne sont pas les seuls à avoir construit des familles en se persuadant qu'ils
étaient "normaux". Durant des siècles,
"depuis la nuit des temps", des hommes ont emporté ce secret, que dis-je, ce fardeau dans leur tombe. Ils
le font encore peser à toute leur filiation, sans que personne n'en sache rien.
J'ai lu assez de vos livres pour penser que cette honte, cette colère, tapies
dans de très nombreux arbres généalogiques, se cachent dans le cœur de bien des
"homophobes". Mais passons.
Quelle que soit notre vie intime, je crois qu'il est nécessaire d'avoir
pensé sa sexualité avant d'envisager de se reproduire. Bien des hétérosexuels,
par la force des choses, et surtout de la norme (en leur faveur), ne passent
pas par ces questionnements, n'en voyant pas l'utilité. Ils font donc des
enfants sans trop réfléchir pourquoi. C’est "normal" et "tout à fait naturel"... "Oh c’est l’appel de la nature !", "Oh c’est l’horloge biologique !". Voilà ce que j’entends parfois,
effaré par votre inconscience, que vous appelez souvent hasard.
Bien des homosexuels, par la force des choses, et surtout de la norme
(contre eux), ont été obligés de remettre en question, d'analyser, puis d'affirmer
leur sexualité. C’est une prise de conscience fondamentale pour eux et toute
leur filiation. Car il me semble que le plus important et le plus "naturel", dans le sens d’une existence harmonieuse avec soi-même,
c’est d’avoir conscience du pourquoi de nos actes, quels qu’ils soient.
Je précise toutefois que je ne dis pas que seuls les homosexuels
prendraient conscience de leur sexualité et de leurs actes, bien heureusement.
Comme tous les couples qui doivent adopter ou qui font appel à des mères
porteuses, le désir d’enfant d’un couple homosexuel ne peut pas se concrétiser
en un coup de bassin, d’un jour à l’autre. Ils doivent penser ce désir, le
réfléchir, prendre conscience de ce qu’ils ont à donner.
Combien d’enfants ont la chance de venir au monde entourés d’un désir aussi
plein, aussi conscient ? Un désir aussi assumé, aussi certain de
lui-même ?
Je ne voudrais pas généraliser, mais il me semble qu'aujourd'hui, bien des
homosexuels sont passés par des prises de conscience fondamentales qui leur
permettent de nommer clairement qui ils sont. Intimement et socialement. Et, je
crois, l'essentiel pour un enfant, c'est l'amour, bien sûr, c’est le désir qu’on
a de lui, mais aussi la transmission par la parole sans honte, sans culpabilité. Cette parole lui donne l’exemple et lui permettra d'avoir conscience de qui il
est, de s’affirmer au sein de la société en tant qu’être humain et en tant que
libre citoyen.
Comme d’habitude, je ne comprends pas votre façon de débattre, pour ne pas
dire que je ne comprends pas ce débat. Il me semble évident qu’il aurait fallu
donner il y a bien longtemps ces droits à ces hommes et ces femmes (sans doute parmi
eux des membre de votre propre famille) qui, même quand il faisait nuit sur le
temps, se cachaient pour s’aimer, honteux de leur sexualité et de qui ils
étaient.
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